Cat. 49
1775
Plume, encre grise, encre brune, lavis brun sur traces de graphite, papier vergé ivoire
H. 13 cm ; L. 8,5 cm
Inscription en bas à droite, à l’encre brune : J.M. Moreau Lejeune 1775
Les qualités d’exécution de cet Henri IV sur son char de triomphe – de beaux effets de lumière et de réserve, un emploi du lavis bien en harmonie avec toute une part de l’œuvre de Moreau le Jeune – et sa date assez précoce par rapport à l’ensemble des illustrations de l’édition de Kehl de La Henriade (1784-1789) signalent ce dessin isolé comme un projet sans lendemain destiné au poème épique de Voltaire. Quoique proche de la grande figure retenue pour le chant V de cette édition (fig. 49 a), il ne fut suivi que d’une eau-forte de même format (fig. 49 b). Les parentés formelles avec les scènes gravées pour l’édition des œuvres du philosophe sont pourtant indiscutables. Au chant V (v. 265-268) de l’épopée, l’orage interrompt le sacrifice des Seize aux esprits infernaux et laisse surgir Henri IV, en une vision qui terrorise les conspirateurs :
Au milieu de ces feux, Henri brillant de gloire
Apparaît à leurs yeux sur un char de victoire.
Des lauriers couronnaient son front noble et serein,
Et le sceptre des rois éclatait dans sa main
Ce feu qui embrase Paris, la lumière qui disperse d’épais nuages, l’allure même de ce char et la posture qu’y prend le roi triomphateur au front ceint de laurier, sa fraise tuyautée, touche de clair et de pittoresque sur l’armure brillante, et même la disposition des autres personnages, se superposent bien à l’illustration connue. Mais, au total, le compte, ou plutôt le sens, n’y est pas. Ici, le peuple acclame un sauveur qui met en déroute ses ennemis, précédé par la Renommée armée d’une trompette : l’allégorie l’emporte et donne une portée plus générale au propos ; là , l’identification plus littérale, ce retour au texte qui constitue l’un des traits marquants de la première suite de Moreau le Jeune, ne permet plus de perdre de vue le contenu du poème. Le sacrifice des inspirateurs de la Ligue incarnés par les Seize, qui constitue une référence précise à l’un des passages les plus dramatiques de l’argument, manque à notre dessin de 1775. Il pourrait s’agir en fin de compte d’un projet de frontispice pour La Henriade. On aurait alors utilisé ce projet dans une transposition partielle pour en tirer l’illustration du chant V.
Moreau le Jeune avait commencé les dessins de La Henriade bien avant la commande pour l’édition de Kehl : les résultats de cette recherche peuvent être constatés dès 1781 au Salon, où l’on expose (no 308) « plusieurs dessins in-4o, sujets de la Henriade qui formeront la première livraison des estampes proposées par souscription, pour l’ornement des Editions de M. de Voltaire ». De cette anticipation du travail sur l’achèvement de la commande, on peut aussi déduire l’éventualité de plusieurs états de recherche. En 1783 était ainsi vendu un « dessin à la plume et lavé au bistre sur papier blanc [...] 1775 », indication trop brève pour établir un lien suffisamment solide avec l’œuvre acquise par le château de Pau.
À quelques années du « triomphe de Voltaire » à Paris (30 mars 1778) et de la représentation qu’en donna Moreau le Jeune, voici celui d’un Henri IV très spectaculaire, couronné de laurier, s’élançant dans les airs sur son char et chassant ses ennemis devant un parterre de Parisiens émerveillés...
Auteurs : P. Mironneau, Cl. Menges
© Réunion des musées nationaux – 2007
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FIG. 49 a
Charles Emmanuel Patas (1744-1802)
d’après Jean-Michel Moreau dit Moreau le Jeune
Henri IV apparaît dans un char tandis que les ligueurs sacrifient aux esprits infernaux
Illustration pour La Henriade (chant V), 1782
Eau-forte
Pau, musée national du Château, inv. P. 55.34.57
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FIG. 49Â b
D’après Jean-Michel Moreau dit Moreau le Jeune
Henri IV dans un char qu’entourent des figures allégoriques
Eau-forte
Pau, musée national du Château, inv. P. 74.3.27