Cat. 156
1848
Crayon, papier épais ivoire
H. 25,1 cm ; L. 192 cm
Annotations au dos de l’ancien montage, au crayon : portrait d’Abd-el-Kader d’après nature dessiné durant sa détention à Pau par mon père Pierre Schlumberger
À l’issue de sa reddition volontaire au général Lamoricière le 23 décembre 1847 et après un dur séjour au fort Lamalgue à Toulon, Abdelkader, prisonnier du gouvernement français en dépit de la parole donnée, fut six mois durant, du 29 avril au 2 novembre 1848, contre son gré, résident du château Henri IV1. Dans un parcours aussi riche2, historiens et iconographes se sont peu attardés sur cette étape pourtant cruciale. Entre les lithographies publiées avant 1847, dans une décennie de confrontation (qui parfois se teinte de séduction), et les images de plus en plus nombreuses qui marqueront le séjour au château d’Amboise, où Abdelkader fut acheminé à son départ de Pau, une nouvelle iconographie prend naissance. Un artiste amateur suisse qui séjournait aux Eaux-Bonnes, le Genevois Charles Eynard, neveu du philhellène Jean-Gabriel Eynard et lui-même fils d’une artiste, Suzanne Élisabeth Eynard-Châtelain, réussit à effectuer un portrait, passant sur les réticences des autorités françaises. L’homme a réellement fréquenté l’Émir, qu’il a rencontré dès le 5 mai 1848 ; il lui a offert plusieurs exemplaires de la Bible traduite en arabe, et longtemps après ces événements, Abdelkader et Charles Eynard continueront de correspondre et de partager une expérience spirituelle de grande intensité.
Divers témoignages font allusion à ce portrait. Ainsi le manuscrit de l’archéologue et artiste (lui aussi amateur) Gustave Houbigant (1790-1862)3, riche de souvenirs et de curiosités. Le portrait d’Abdelkader y figure sous la forme d’une petite lithographie découpée et fait l’objet d’un long commentaire4. Eynard, « placé secrètement », selon Houbigant, dans un cabinet voisin de l’appartement de l’Émir, aurait pris le croquis… Dans ses souvenirs d’enfance, l’historien et numismate Gustave Schlumberger cite aussi le portrait d’Abdelkader. Or, notre dessin, qui appartient au fonds Schlumberger du musée des Beaux-Arts de Pau, a été attribué au père de l’historien, Pierre Schlumberger, sur la foi d’une annotation portée sur un montage aujourd’hui disparu ; mais ce seul témoignage figuré de l’Emir pour la période paloise coïncide de trop près avec l’ouvrage de Charles Eynard5. On sait aussi que les familles Eynard et Schlumberger, ardents protestants d’obédience darbyste, entretenaient des liens très étroits ; il semble dès lors parfaitement légitime de formuler une autre hypothèse : le dessin conservé par les Schlumberger pourrait fort bien être de la main de Charles Eynard. Lithographiée par le Suisse Jules Hébert (Genève, 1812 – Plainpalais, 1897), qui fut élève d’Ingres (fig. 156 a), il accompagnera les efforts de son auteur en faveur de la libération du prisonnier injustement retenu. « Je prends la liberté, écrit Charles Eynard à la fin de sa lettre du 18 avril 1849 à Émile Ollivier, de vous adresser un exemplaire du portrait d’Abd-el-Kader que j’ai fait faire pour ses amis6. »
Le modeste mais pénétrant crayon d’un amateur averti jaillit d’un milieu intensément religieux, frotté d’art et fort cultivé. Il retient les traits de douceur et de bonté qui ont marqué l’auteur et que celui-ci rappelle à plusieurs reprises dans sa correspondance. Ce n’est pas une œuvre voyante, mais nous lui trouvons une grande élégance.
Notes
Auteurs : P. Mironneau, Cl. Menges
© Réunion des musées nationaux – 2007
Zoom navigable
FIG. 156 a
Jules Hébert (1812-1897), d’après Charles Eynard
Abdelkader
Lithographie
Genève, musée d’Art et d’Histoire, cabinet des Estampes