Cat. 33
Pierre noire, estompe, sanguine, craie de couleur, rehauts d'aquarelle, papier vergé ivoire
H. 31,1 cm ; L. 20,8 cm
Repentir sur la fraise.
Ce portrait dessiné souffre d’une indéniable lourdeur ; on y trouve plutôt de la truculence, esquissée toutefois avec discrétion et unie à un souci de réalisme physionomique approfondi, non sans quelque élégance. On pourra comparer cette version du roi vieillissant avec le dessin d’une tête d’Henri IV acquis en 1986 pour le château de Pau, œuvre infiniment plus harmonieuse, datant des alentours de 1605-1610 (cat. 29). Rien ici de cette sobriété raffinée, mais tous les caractères d’une maturité avancée, évoquant les dernières années du roi. On y devine une révision radicale du prototype bien répandu à partir de 1600 (il pourrait avoir été lancé à l’origine par Jacob Bunel) dans la peinture (Henri IV dit en Mars, vers 1600 ou plusieurs années plus tard1) ou dans la gravure (portraits en buste par Thomas de Leu et Léonard Gaultier entre 1605 et 1610). Complètement dissociée du portrait militaire comme du portrait mythologique, l’image royale incorpore de nouveaux éléments iconographiques, à la lumière d’une nouvelle perception clairement dirigée vers le XVIIe siècle. Mais à qui doit-on cette version du roi âgé ?
Il n’y a que de vagues rapports avec plusieurs dessins français anonymes ou d’attribution fragile, comme celui donné par Louis Dimier à François Quesnel2 et deux autres œuvres qui lui sont proches, l’une de la collection Clairambault3, attribuée à Benjamin Foulon, l’autre du fonds des Arts et Métiers (Paris, CNAM, dessin no 17), où l’on trouve d’intéressantes analogies de costume et de posture unies à de grandes différences d’âge et d’exécution. Notre dessin ressortit plutôt à une étape intermédiaire entre le petit portrait de cour, tel qu’on le pratiquait pour le roi ou de grands seigneurs sous les derniers Valois, et un nouveau ton à la mode, mêlant l’habit de cour à un réalisme très poussé. On se situerait donc au plus tôt à la veille de l’assassinat du roi.
Deux artistes ou ateliers florissants à cette époque méritent ici un examen plus approfondi. Daniel Dumonstier (1574-1646) est le plus connu d’une famille de dessinateurs actifs du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe. Productif (on trouve aussi beaucoup de gravures d’après lui), officiel (peintre et valet de chambre d’Henri IV puis de Louis XIII), mondain (bien connu pour ses réparties, ses saillies, ses grivoiseries), auteur d’un portrait gravé d’Henri IV dont l’original est perdu, il se signalait par des travaux soignés, aux trois crayons et au pastel, une certaine sécheresse du vêtement, des figures en buste, enfin ce format « intermédiaire », autant d’analogies de présentation signalant une époque et une catégorie d’œuvres. La personnalité de cet artiste, poète ami de Malherbe, auteur de Stances sur la mort du très chrestien Henry le Grand (1610), situerait bien le dessin dans le climat de perpétuation de la mémoire du bon roi qui se répand après le drame de la rue de la Ferronnerie. Mais l’esprit même de Dumonstier s’en éloignerait davantage, et l’on ne retrouve pas la recherche de perfection qui l’anime. Tallemant des Réaux, qui s’étend sur ses bons mots, précise d’ailleurs qu’il peignait « les gens […] plus beaux qu’ils n’étaient »...
Sous le nom de Lagneau, on désigne d’autre part un artiste (ou plutôt un atelier) notoirement mal connu, cité par l’abbé de Maroles au XVIIe siècle. Lagneau aurait exécuté beaucoup de portraits, et une profusion de caricatures ou sujets grimaçants, à mettre pour une part en rapport avec l’engouement de la veine burlesque. Les portraits, cependant, peuvent être de très bonne venue. Deux d’entre eux, au musée du Louvre, en sont le témoignage (département des Arts graphiques, inv. RF 29077 et RF 27447 ; fig. 33 a et b). S’agit-il d’Henri IV ? Cela n’est pas exclu ; plus émaciés, plus séniles encore, ces visages se rapprochent cependant davantage de notre dessin que ceux de Dumonstier sur le plan structurel. En fait de traits caractéristiques, la manière de Lagneau se lit dans des rides bien creusées, des pattes d’oie aux extrémités des yeux, des sourcils broussailleux, des traits forts, un relatif désordre des cheveux, particularités en partie vérifiées dans notre dessin. C’est aussi tout un climat esthétique et moral, celui du lendemain de l’assassinat du roi qui, au-delà , s’affirme et recouvre la représentation royale.
La référence la plus sûre reste encore le portrait gravé, et l’on ne peut que relever les éléments précis rapprochant ce visage marqué des productions d’un graveur-éditeur bien informé comme Léonard Gaultier (vers 1561 – vers 1635-1640), qui puise ses modèles de bonne source. Celui-ci procède dans les années 1609-1610 à d’importants ajustements pour tenir compte de la dégradation très sensible du royal visage : Henri quinquagénaire est édenté, presque sénile, plusieurs portraits font état de ces transformations. Ainsi celui représentant le roi à cheval, copie datée de 1609 d’une estampe de Johann Van Haelbeck, ou une autre version du roi à cheval datant de 1610, utilisée dans L’Avant victorieux de Hostal de Roquebonne (Orthez-Bordeaux, 1610). Les analogies sont encore plus saisissantes dans la petite figure faisant apparaître, sous une architecture en forme de niche, le roi en pourpoint, portant la fraise et l’ordre du Saint-Esprit (fig. 33 c), intégré dans la mise en page de l’Almanach pour l’an 1610 de Balthazar de Montfort, grand astrologue4. Cette image attribuée à Léonard Gaultier fait pendant à Marie de Médicis, dans une sorte de galerie de la famille royale avec les enfants de France. Le repentir, dans le présent dessin, a rectifié la position de la fraise, jusqu’à atteindre le même angle que dans ces gravures.
Cette physionomie prête à entrer dans l’histoire mémorielle des Français à la faveur de la plus grande exigence de réalisme et d’expressivité de ces décennies retrouve certains accents des oraisons funèbres apparues au lendemain de la mort tragique du roi, comme un dernier maillon entre le portrait moralisé et l’irruption d’une légende nationale :
Le sourcil relevé, et le front découvert, aussi plein de terreur pour étonner l’ennemy que l’œil riant, et la bouche amiable, pleine de douceur, et d’attraict pour attirer les siens. Ce nez aquilin symbole de prudence, ce chef chargé plus d’expérience que d’années, et de cheveux chenus, tout l’aspect libéral vray miroir d’une candeur la plus Françoise du monde5.
Notes
Auteurs : P. Mironneau, Cl. Menges
© Réunion des musées nationaux – 2007
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FIG. 33 a
Lagneau (actif à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle)
Portrait d’homme âgé [Henri IV ?]
Pierre noire, sanguine
Paris, musée du Louvre, inv. RF 29077
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FIG. 33Â b
Lagneau (actif à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle)
Portrait d’homme de face [Henri IV ?]
Pierre noire, pastel, sanguine
Paris, musée du Louvre, inv. 27447
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FIG. 33 c
Attribué à Léonard Gaultier (vers 1561 – vers 1635-1640)
Henri IV en buste dans une niche, 1610
Burin
Pau, musée national du Château, inv. P. 1329